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La confiance entre particuliers redevient monnaie courante

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Pique-Nique citoyen Super-Marmite (2e arrondissement, Paris)

Nouvel invité sur le blog ! Marc Chataigner, co-fondateur de Super Marmite nous propose un sympathique témoignage sur le thème de la confiance entre particuliers …

Souvenez-vous d’Antoine de Maximy, arpentant il y a quelques années le monde pour prouver à tous ses concitoyens que l’aventure de dormir chez un inconnu n’était pas si périlleuse que cela pouvait le paraître. Son épopée l’a même conduit sur les grands écrans à tenter le diable dans l’enfer de Beverly Hills, jusqu’à s’inviter chez George.

Aujourd’hui, Couchsurfing et AirBnB (notamment) rendent ce périple davantage commun et accessible, à toute personne n’ayant pas le courage ou la gouaille de notre héros national à caméras extensibles. Au hasard de quelques clics et messages échangés, je me suis ainsi retrouvé chez la chanteuse de Deee-light à Brooklyn… autant vous dire que mon séjour à NewYork était pour le moins exubérant et inoubliable. Mais “aller dormir chez son voisin” a-t-il toujours été une telle aventure ?

Nos grands-mères nous trouvent bien gentils lorsque que nous leur racontons nos épopées sur CouchSurfing ou Airbnb… Après tout, il y de cela quelques années, l’hospitalité ça allait de soi, et puis surtout, ça ne se monnayait pas.

Des romans illustres témoignent de cet âge révolu où l’hospitalité était une évidence… Ainsi Zarathoustra, au début de son aventure, un soir de déconvenue, se retrouvant le ventre vide, va-t-il frapper à la porte d’une bicoque sur le bord du chemin. On lui ouvre, il réclame du vin et du pain. Et le paysan, malgré sa pauvreté apparente lui sert son comptant. Ces quelques lignes me rappellent ce que ma grand mère appelait la “part du pauvre”, une part du souper conservée au chaud pour restaurer tout passant qui se serait égaré. C’est à croire qu’Antoine de Maximy n’aurait pas épaté les foules dans nos contrées il y a de cela quelques décennies. Et dans les régions reculées où il s’aventure bon an mal an, il est fort à parier que des pratiques paysannes similaires au “couvert du pauvre” persistent.

Inoué Yasushi raconte dans un roman autobiographique comment dans les villages montagnards du centre du Japon, il y a de cela à peine 50 ans, sa grand mère préparait des Onigiri pour les passants, et ce en particulier pour les soirs de typhons. Ainsi les pratiques du partage semblaient à première vue monnaie courante il y a encore peu de temps. Mais aujourd’hui, dans nos hameaux urbains, un particulier n’a plus l’habitude de proposer ses services à la communauté, ni gratuitement, ni contre dédommagement. Pourtant, nombreux sont les cuisiniers du dimanche à s’imaginer TopChefs d’un soir.

C’est comme si l’industrialisation des différents secteurs économiques, en se professionnalisant, en se spécialisant, avaient rendu le “coût d’entrée sur leur marché” extrêmement élevé.

Récemment, vous avez sûrement entendu parler de l’émergence de la consommation collaborative, un peu partout dans le monde et principalement dans nos pays occidentaux. Ce mouvement prometteur est annoncé comme une réponse potentielle à la crise qui sévit ici-bas. Mais, au regard de ce que j’écrivais plus haut, la consommation collaborative telle qu’elle se nomme aujourd’hui n’a rien de neuf. “De mon jeune temps, c’était monnaie courante” vous expliquerait une personne de 70 ans ou plus.

Mais alors, qu’est-ce qui fait que cette déferlante de services collaboratifs nous rend euphoriques et nous fait envisager l’avenir avec espoir?

Si la spécialisation et la professionnalisation des industries, tout secteurs confondus, a apporté davantage d’exigence et de qualité dans la production de biens et de services, elles ont aussi rendu l’entrée du particulier sur le marché quasi impossible. Aucune banque ne vous prête l’argent nécessaire pour débuter un commerce si vous n’avez pas expérience ou diplôme en la matière.

Pour prendre un autre exemple, lors d’une table ronde sur le partage et la mobilité, une personne dans l’assistance – probablement issue de la corporation des taxis – tançait Frederic Mazella , fondateur de Covoiturage.fr (1,3 million de membres aujourd’hui tout de même) en lui expliquant qu’il “tuait la profession”. Les particuliers, nouveaux entrants, n’auraient pas les contraintes des professionnels et pour le coup allaient “casser les prix”. Ce à quoi répondait à son tour Robin Chase, fondatrice de ZipCar aux Etats Unis et plus récemment de BuzzCar ici en France, qu’il fallait « encourager les particuliers à prendre place sur le marché, devenir des acteurs économiques en puissance, pour faire évoluer ce marché sclérosé par les institutions en place. »

Même si celles-ci sont garantes de la paix sociale, les institutions risquent de freiner toute évolution du marché qui n’irait pas dans leur sens. Le coût d’entrée sur le marché est d’autant plus élevé que les groupements (pour ne pas dire lobbys) ont un monopole affirmé.

Dans le secteur de l’agroalimentaire, même si tout particulier cuisine potentiellement, l’industrie agroalimentaire pèse beaucoup dans l’évolution la législation afin de

  • 1 : répondre aux impératifs imposés par les associations de consommateurs, en matière d’hygiène par exemple
  • 2: s’assurer que le marché lui reste favorable.

Ainsi, la grand-mère de Yasushi Inoué devrait aujourd’hui s’équiper d’un laboratoire avant de pouvoir penser à proposer ses plats aux passants ; équipement qui impose une activité professionnelle à temps plein, une formation et des finances.

L’évolution des contraintes hygiéniques imposées à l’industrie agroalimentaire semble évidemment bénéfique pour les consommateurs, car ils ont une certaine assurance que l’hygiène dans la chaine alimentaire a été respectée. Mais à quel dépend ? Au dépend d’un plus grand choix ou d’une plus grande variété de plats. Le secteur de l’agroalimentaire, de l’hôtellerie, du tourisme (et je pourrais en citer d’autres) proposent aujourd’hui des produits industrialisés et normés, rassurant le consommateur sur ce qu’il achète certes mais l’empêchant tout autant de goûter aux joies des péripéties d’Antoine de Maximy.

L’“héroïsme” de ses aventures (tant elles sont hors de portée pour nous autres consommateurs occidentaux) a de quoi interroger l’évolution de nos sociétés. Socialement, le coût d’entrée pour aller oser dormir chez son voisin est devenu hors de portée, au risque de passer pour le boulet squatteur qui n’a pas le sou pour se payer un hôtel.

Il est incroyable de se rendre compte qu’il est devenu moins couteux socialement – mais plus coûteux financièrement – de posséder un objet, quitte à ne l’utiliser qu’un temps infime, plutôt que d’aller sonner chez son voisin le lui emprunter. Les familiers de la consommation collaborative auront reconnu dans ma satyre l’exemple de la perceuse, utilisée en moyenne moins de 12 minutes en tout et pour tout dans son temps de vie. Pourquoi acheter une perceuse plutôt que d’emprunter celle de son voisin ? Parce que le statut social se mesure depuis plusieurs décennies au nombre d’objets possédés et qu’il est devenu très incofortable de se sentir l’obligé de son voisin. Pourquoi aller à l’hôtel plutôt que chez un particulier ? Pour le confort diront certains, par manque de confiance dans ce que j’achète diront d’autres.

La recrudescence des plate-formes en ligne de consommation collaborative, dans tous les secteurs possibles et imaginables, les arts, la cuisine, l’hébergement, la musique, les visites touristiques, la mobilité, le savoir et j’en passe, est à mes yeux synonyme d’un événement majeur :

Là où les industries avaient réussi à faire baisser le coût d’entrée à la possession de biens ou l’achat de services en réduisant les coûts par l’industrialisation de la production, ces plate-formes en ligne réussissent à faire baisser le coût d’entrée au partage de biens ou de services en réduisant les coûts par la démocratisation de la confiance (et la masse critique d’utilisateurs qui en résulte).

En effet, ces plate-formes qui viennent jouer l’intermédiaire entre deux particuliers qui n’oseraient pas se faire suffisamment confiance – dur de faire confiance à ce voisin que je ne croise jamais – jouent le rôle de “tiers de confiance”. Quelle confiance puis-je apporter à ce voisin qui voudrait m’emprunter ma voiture ? Aucune a priori. En revanche, à partir du moment où il a fait la démarche de s’inscrire sur Drivy, Cityzencar, Deways ou BuzzCar, qu’il montre “patte blanche” à un réseau suffisamment important pour avoir de la crédibilité – Covoiturage.fr, c’est plus d’un million de membres – alors là oui, la barrière de la confiance baisse d’autant plus que le réseau est important. D’ailleurs, la principale activité de ces plate-formes en ligne est de se constituer une légitimité via une communauté importante et active. Ce faisant, ces plate-formes “industrialisent la confiance” et font ainsi baisser le coût d’entrée au sein de cette économie du partage (un billet de Shareable allait dans ce sens il y a quelques jours).

Antoine de Maximy était peut-être le seul à oser partager ou demander de partager un lit pour la nuit ; grâce à AirBnB et sa communauté de millions de membres à travers le monde, cette activité est rendue accessible – je parle de coût cognitif – aux péquins moyens que nous sommes.

Ca me coûte moins de faire confiance à ce voisin que je ne connais pas à partir du moment où je vois que 15 personnes lui ont déjà fait confiance. Ainsi, ces bonnes habitudes “paysannes” qu’avaient nos aïeux, cette habitude pourtant si économique et potentiellement écologique qu’est le partage – plutôt que la possession de biens pour lesquels je vais devoir m’endetter – reprend sa place dans notre économie.

De part ses divers expériences, Marc Chataigner  est devenu un « designanthropologiste » passionné par le développement de projets orientés utilisateur et délivrant une expérience hors du commun. Chef de projet  pour Axance et co-fondateur de Super-Marmite, il poursuit ses expériences à la croisée entre le design de services et la recherche en anthropologie.

Pour tout savoir sur Marc, c’est par ici : http://flavors.me/marcchataigner


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